Présenté le 14 octobre 2025 en Conseil des ministres par Roland Lescure et Amélie de Montchalin, le projet de loi de finances pour 2026 s’inscrit dans un contexte budgétaire particulièrement tendu. Avec un déficit public attendu à 4,7% du produit intérieur brut contre 5,4% en 2025, le gouvernement Lecornu cherche à concilier redressement des comptes publics et préservation du modèle social français. Ce texte, actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale jusqu’au vote solennel du 4 novembre, introduit des évolutions majeures touchant directement les stratégies d’investissement, de transmission et d’optimisation fiscale des ménages fortunés et des détenteurs de patrimoine.

Taxe sur les holdings patrimoniales : une mesure fiscale de 2% qui bouleverse la gestion de patrimoine

La mesure phare du projet de loi de finances 2026 consiste en l’instauration d’une taxe annuelle de 2% sur le patrimoine financier des holdings patrimoniales, alternative privilégiée par le gouvernement à la taxe Zucman. Cette disposition fiscale vise à limiter la capitalisation de revenus non distribués dans des structures purement passives et à rapprocher la contribution de ces holdings de celle des particuliers soumis à l’impôt sur la fortune immobilière.

Le champ d’application de cette taxe patrimoniale repose sur quatre conditions cumulatives strictes assurant une application ciblée :

  • Les sociétés concernées doivent d’abord détenir des actifs d’une valeur vénale supérieure ou égale à 5 millions d’euros.
  • Ensuite, une personne physique ou son cercle familial doit détenir directement ou indirectement au moins 33,33% des droits financiers ou de vote.
  • Les revenus passifs, comprenant dividendes, loyers, produits financiers et redevances, doivent représenter plus de 50% du total des produits d’exploitation et financiers.
  • Enfin, la société ne doit pas avoir de société mère redevable de la même taxe.

Les structures d’investissement régulées échappent à cette taxation des holdings. Les sociétés d’investissement à capital variable, les sociétés de capital-risque ou les sociétés d’investissement immobilier cotées bénéficient ainsi d’une exemption. Le taux de 2% s’applique à une assiette fondée sur la valeur vénale des actifs non professionnels, incluant les biens meubles et immeubles non affectés à une activité opérationnelle, les liquidités et titres financiers non productifs d’activité, ainsi que les participations dans des filiales répondant aux mêmes critères patrimoniaux.

Cette taxe sur les holdings patrimoniales concernerait également les sociétés étrangères, dès lors qu’un associé contrôlant a son domicile fiscal en France. Dans ce cas, c’est l’associé contrôlant, résident de France, qui devra établir la déclaration fiscale et payer l’impôt de 2%. La déclaration et le paiement interviendraient en même temps que le solde de l’impôt sur les sociétés pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2025. Cette mesure devrait rapporter 2,5 milliards d’euros au budget de l’État, bien que son adoption définitive reste incertaine après un vote accidentel de suppression en commission des finances le 20 octobre, que le président Éric Coquerel a promis de corriger en séance publique.

Contribution différentielle sur les hauts revenus pérennisée : maintien du taux minimal de 20%

Le projet de loi de finances 2026 prévoyait initialement la prolongation pour un an de la contribution différentielle sur les hauts revenus, introduite par la loi de finances pour 2025. Ce mécanisme fiscal garantit un taux d’imposition minimal de 20% pour les foyers dont le revenu de référence dépasse 250 000 euros pour une personne seule ou 500 000 euros pour un couple. Toutefois, les députés ont adopté le 25 octobre un amendement du député MoDem Jean-Paul Matteï qui pérennise cette contribution jusqu’au retour sous les 3% de déficit public, renforçant ainsi significativement la portée de cette mesure d’équité fiscale.

Concrètement, si après impôt sur le revenu et contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, le taux moyen d’imposition d’un contribuable reste inférieur à 20%, la contribution différentielle vient combler la différence. Cette mesure, qui s’applique au titre de l’imposition des revenus de l’année 2025 et désormais pérennisée, s’ajoute à l’impôt sur le revenu et à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.

Les contribuables concernés doivent verser un acompte entre le 1er et le 15 décembre 2025, égal à 95% du montant estimé de la contribution. Cette disposition rapportera 2,5 milliards d’euros supplémentaires, auxquels s’ajoutera 1,5 milliard d’euros provenant de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, totalisant ainsi 4 milliards d’euros de recettes fiscales nouvelles ciblant les ménages les plus aisés.

Barème de l’impôt sur le revenu : rejet du gel et indexation sur l’inflation

Contrairement au projet initial du gouvernement, les députés ont largement rejeté le 25 octobre le gel du barème de l’impôt sur le revenu, qui aurait conduit 200 000 foyers supplémentaires à payer cet impôt. Une large coalition réunissant l’extrême droite, la droite, une partie des macronistes et les Insoumis a approuvé un amendement de Laurent Wauquiez, patron des députés Les Républicains, rejetant le gel et imposant une indexation complète du barème sur l’inflation d’environ 1,1%, contre l’avis de la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin.

Cette décision prive le projet de budget 2026 d’une recette de 2,2 milliards d’euros initialement prévue par l’exécutif. Le gel aurait touché directement les salaires, les pensions de retraite, les allocations chômage ainsi que les gains rapportés par tout placement financier, qu’il s’agisse d’épargne retraite ou d’assurance vie.

Assurance-vie : entre opportunités de transmission anticipée et menaces sur la fiscalité

L’assurance vie fait l’objet de plusieurs propositions dans le cadre du budget 2026, certaines favorables aux épargnants, d’autres plus inquiétantes pour l’avenir de ce placement préféré des Français. La commission des finances a adopté le 20 octobre un amendement proposant d’accorder un abattement de 152 500 euros lors d’une transmission du capital d’une assurance vie avant le décès du souscripteur.

Ce dispositif de transmission anticipée de l’assurance vie permettrait au souscripteur de transmettre de manière anticipée, par donation, jusqu’à 152 500 euros en totale franchise de droits à ses bénéficiaires. Pour profiter de cet avantage fiscal, il devra avoir effectué ses versements avant ses 70 ans et avant le 1er octobre 2025, et avoir atteint cet âge avant le 31 décembre 2026. Ce dispositif serait limité à l’année 2026 et ne concernerait ainsi que les versements effectués avant le 1er octobre 2025 par des personnes qui auront atteint 70 ans avant le 31 décembre 2026. Les abattements utilisés seraient alors déduits des abattements de même nature au moment du décès du souscripteur.

Toutefois, les inquiétudes persistent quant à une éventuelle remise en cause plus profonde de la fiscalité avantageuse de l’assurance vie. Plusieurs signaux laissent penser que la fiscalité de ce placement pourrait être revisitée dans les prochains budgets, notamment concernant l’alignement du régime successoral sur le barème des droits de succession classiques, une perspective qui obligerait les détenteurs de contrats à repenser leur stratégie patrimoniale.

Plan épargne retraite : obligation de liquidation à la retraite adoptée en commission

Le plan épargne retraite, qui compte 11,2 millions de titulaires pour des encours atteignant 119 milliards d’euros, fait l’objet de débats intenses dans le cadre du projet de loi de finances 2026. Un amendement visant à interdire ce dispositif d’épargne retraite, déposé par La France Insoumise qui y voit une capitalisation déguisée bénéficiant aux plus aisés, a été rejeté, préservant ainsi l’existence même du produit.

En revanche, un amendement obligeant de liquider le plan épargne retraite à la retraite a été adopté en commission. Actuellement, le bénéficiaire d’un PER peut le conserver après sa retraite, utilisant ainsi ce véhicule comme un outil de transmission patrimoniale intergénérationnelle. Cette proposition vise à recentrer le dispositif sur sa vocation première de complément de retraite, au détriment de sa dimension successorale. Cette modification, si elle est confirmée en séance plénière, obligerait les épargnants à revoir leur stratégie d’utilisation du PER comme outil de transmission.

Niches fiscales : suppressions massives pour 5 milliards d’économies

Le gouvernement prévoit de supprimer 23 niches fiscales jugées inefficientes ou obsolètes, pour un total de 5 milliards d’euros d’économies budgétaires. Parmi les dispositifs concernés figurent des mesures touchant directement les contribuables dans leur quotidien.

La fiscalisation des indemnités journalières pour affection longue durée, la suppression de la réduction d’impôt pour frais de scolarité dans le secondaire et le supérieur, ainsi que la réduction progressive de l’avantage fiscal pour le carburant E85 font partie des dispositions envisagées. Le gouvernement prévoyait également la suppression de l’abattement de 10% sur les pensions de retraite, en le remplaçant par un abattement forfaitaire de 2000 euros pour un célibataire et de 4000 euros pour un couple.

Toutefois, la commission des finances a rejeté cette mesure concernant les retraités le 21 octobre. Les députés de la Droite républicaine, du Rassemblement national, de La France insoumise et de l’Union des droites pour la République ont adopté des amendements identiques supprimant l’article 6 du projet de loi de finances pour 2026. Cette suppression devra être confirmée lors de l’examen en séance publique, illustrant la difficulté du gouvernement à faire adopter des mesures impopulaires dans un contexte politique fragmenté.

Investissement dans l’innovation : dispositifs préservés mais encadrés jusqu’au 31 décembre

Le projet de loi de finances 2026 apporte des modifications importantes aux dispositifs de soutien à l’investissement dans les PME innovantes. L’article 8 supprime l’avantage lié aux souscriptions de parts de fonds communs de placement dans l’innovation, sauf lorsqu’il s’agit de fonds investissant dans des jeunes entreprises innovantes.

Les fonds communs de placement dans l’innovation permettent d’investir dans des parts d’entreprises non cotées et de bénéficier d’une réduction fiscale de 25% sur les montants investis dans une limite de 12 000 euros pour une personne célibataire et 24 000 euros pour un couple. Sans modification législative dans le projet de loi de finances 2026, cette disposition prendra fin le 31 décembre 2025, conformément à la dernière autorisation de la Commission européenne. France Digitale appelle à proroger l’éligibilité des FCPI au taux de 25% au-delà du 31 décembre 2025, estimant que cette mesure est nécessaire pour soutenir l’investissement privé dans l’innovation.

Concernant les jeunes entreprises innovantes, le statut reste globalement préservé dans le projet de loi de finances 2026, contrairement aux craintes initiales. Des amendements proposent même la création de nouveaux dispositifs, comme la jeune entreprise innovante de rupture, ouverte aux entreprises de moins de 12 ans consacrant au moins 30% de leurs charges à la recherche, témoignant d’une volonté de maintenir l’attractivité fiscale française pour l’innovation.

Un parcours parlementaire chaotique jusqu’au vote du 4 novembre

Le parcours parlementaire du projet de loi de finances 2026 s’annonce particulièrement difficile. La commission des finances a largement rejeté la partie recettes du texte dans la nuit du 22 au 23 octobre, avec 11 voix pour et 37 contre. L’ensemble de la gauche, le Rassemblement national ainsi que Les Républicains ont voté contre la copie résultant des travaux de la commission.

Du fait de ce rejet en commission, les débats en séance plénière repartent de la copie initiale du gouvernement. Le Premier ministre Sébastien Lecornu s’est engagé à ne pas utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter ce texte, ce qui signifie que chaque mesure devra être approuvée par vote à l’Assemblée nationale. Selon le rapporteur général du budget Philippe Juvin, le texte prévoit après son passage en commission une réduction de la pression fiscale de 7 milliards d’euros par rapport à la copie gouvernementale, ce qui supposerait de réduire d’autant les dépenses pour ne pas dégrader l’objectif de déficit.

Les débats se poursuivent jusqu’au vote solennel programmé le 4 novembre 2025 sur la première partie du projet de loi de finances. Le texte sera ensuite transmis au Sénat pour examen, avant de revenir à l’Assemblée nationale dans le cadre de la navette parlementaire. L’absence de recours au 49.3 rend le processus d’adoption particulièrement incertain, avec un risque réel de finir l’année sans loi de finances adoptée, ce qui activerait le mécanisme constitutionnel de reconduction du budget précédent.

Questions fréquentes sur le PLF 2026

Qui est concerné par la taxe de 2% sur les holdings patrimoniales ?
Les holdings détenant des actifs supérieurs à 5 millions d’euros, dont une personne physique détient au moins 33,33% des parts et dont plus de 50% des revenus sont passifs. Cette taxe rapporterait 2,5 milliards d’euros à l’État.

La contribution différentielle sur les hauts revenus est-elle temporaire ?
Initialement prévue pour un an, elle a été pérennisée par amendement jusqu’au retour du déficit sous 3% du PIB. Elle concerne les revenus dépassant 250 000 euros pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple.

L’impôt sur le revenu sera-t-il gelé en 2026 ?
Non, les députés ont rejeté le gel et voté l’indexation du barème sur l’inflation d’environ 1,1%, privant l’État de 2,2 milliards d’euros de recettes et évitant l’imposition de 200 000 foyers supplémentaires.

Peut-on encore transmettre son assurance-vie de manière anticipée ?
Un amendement adopté en commission prévoit un abattement de 152 500 euros pour les transmissions anticipées en 2026, concernant les versements effectués avant 70 ans et avant le 1er octobre 2025.

Le plan épargne retraite reste-t-il un outil de transmission patrimoniale ?
Un amendement adopté en commission oblige à liquider le PER à la retraite, supprimant sa fonction de transmission. Cette mesure doit encore être confirmée en séance publique.

Le projet de loi de finances 2026 marque une inflexion notable dans la fiscalité du patrimoine en France. Entre taxation accrue des structures patrimoniales, maintien renforcé de la pression sur les hauts revenus et remise en question de certains avantages fiscaux traditionnels, le paysage fiscal se reconfigure au gré des impératifs budgétaires et des rapports de force parlementaires. Ces évolutions imposent une révision des stratégies d’optimisation et de transmission, dans un contexte où la sécurité juridique et la visibilité fiscale à moyen terme restent particulièrement incertaines jusqu’à l’adoption définitive du budget, attendue pour la mi-décembre 2025.